Voici deux lettres d’une amie Française vivant à Madagascar… Depuis leur réception (la première le 28 janvier et la seconde de 2 février), la situation a évolué, mais on y voit pas beaucoup plus clair. Je voulais vous faire partager ce point de vue (l’auteur elle-même précise qu’il ne s’agit que d’un point de vue parmi d’autres et ne prétend détenir aucune vérité)… Un site très bien parle de la situation en direct : www.sobika.com.
Le 28 janvier – » 35°C à l’ombre dans mon village, même en dormant la nuit sans draps et toutes fenêtres ouvertes on transpire. Il fait chaud ici… Ça chauffe à Tanà – ai-je entendu lundi. Ah bon ? répond ma naïve interrogation, sachant qu’à la capitale située à plus de 1000 m d’altitude, il fait toujours plus frais. Les Tananariviens auraient-ils vraiment plus chaud que nous ? Et oui, ça chauffe, mais parce que ça brûle, au sens propre. La radio nationale, la télé nationale, la chaine télé du Président, les supermarchés du Président, les villas des amis du Président, tout est parti en fumée. Après ces premières émeutes, tous les magasins d’électroménager, puis toutes les épiceries de la capitale ont été pillés.
La raison ? Non, il ne s’agit pas de deux jeunes de banlieues électrocutés en échappant à la police nationale. Mais le fond ressemble un peu. La population qui n’a rien à manger en a marre de voir son Président, l’homme le plus riche du pays, continuer à s’enrichir.
Le déclenchement de cette crise a été plus long que ce simple résumé. A l’origine de l’histoire, il y a deux protagonistes. D’un côté, Marc Ravalomanana, le président de la République Malgache, depuis 2002. Auparavant il était Maire de Tanà et il est arrivé au gouvernement après une crise politique qui l’a opposé au président précédent dont il critiquait le mode d’intervention. De l’autre côté, le jeune Andry TGV (le TGV est le nom qu’il a donné à son parti, et cela veut dire autre chose que train à grand vitesse, même si cela y fait fortement référence), l’actuel Maire de Tanà, qui est dans l’opposition par rapport au parti du président, et qui critique son d’intervention. Classique… Depuis plusieurs mois la tension monte entre les deux. Ils ne sont forcément jamais d’accord. Ils se tirent dans les pattes en permanence. Mais la trame du conflit ne se pose jamais sur des idéologies politiques… Madagascar a beau être une république, elle ressemble plutôt à une monarchie, dont le trône se prend par la force suite à une crise politique.
Le maire de Tanà a derrière lui une grande majorité des Tananariviens, et critique ce milliardaire de président qui passe son temps à s’enrichir, et à enrichir ses proches. Il a encore récemment acheté un avion présidentiel à 60 millions d’euros, pour remplacer le précédent qu’il trouvait trop petit. La moitié du prix a été pris dans les caisses de l’Etat, alors que la population est en pleine crise alimentaire. L’autre moitié, on ne sait pas d’où elle provient et on ne préfère pas savoir. Il a également vendu l’équivalent de la surface de la Hollande aux Coréens de Daewoo. Il a vendu du sol Malgache alors que la terre est l’élément le plus important pour cette population qui a un lien si fort avec les ancêtres qui vivaient sur leurs terres.
La radio de l’opposant a été fermée par le Président en début d’année. Le Président a avec lui le reste de la population (qui ne père peut être plus très lourd), la communauté internationale (au moins les Etats-Unis et les poids lourds asiatiques), sa fortune… Mais pas les militaires. L’armée est en train de se scinder en deux : les pro et les anti Ravalomanana. Pendant les émeutes et autres manifestations, la police n’a pas bougé pour arrêter les mouvements (je soupçonne même que certains aient enlevé leur uniforme pour pouvoir eux aussi repartir avec un lecteur DVD et un ventilateur…). Après s’être affrontés pendant des mois par déclarations et médias interposés avec Ravalomanana, Andry TGV a fini par monter clairement la population de la capitale contre le président. Des réunions clandestines se sont tenues dans l’opposition, avant de faire exploser la situation lundi à Tanà et Tamatave. Mardi, le mouvement avait gagné toutes les grandes villes du pays (Finarantsoa, Diégo, Mahajunga, Tuléar).
Aujourd’hui les rumeurs annoncent un putsch, la mort du président, sa fuite à l’étranger, l’emprisonnement du maire de Tanà, etc. Les pillages continuent. Certaines familles viennent d’acquérir du riz et de l’huile gratuitement pour plusieurs mois, d’autres revendent ces produits volés pour 3 fois rien. On dénombre quelques morts, mais seulement dues à des accidents durant les émeutes et non à des balles perdues. Les voies de communication sont fermées : pas d’avion, barrages sur les routes.
Et dans mon village ? L’avantage de vivre dans des coins reculés, c’est qu’on est également loin de ce genre d’incidents… Aucune information ne passe à la radio. On s’informe par téléphone, auprès des amis et familles qui sont dans le reste du pays, pour savoir un minimum comment évolue la situation.
On achète autant de produits de première nécessité possible (riz, sucre, sel, lessive), car ils vont bientôt manquer et leurs prix vont être multipliés par 5 peut être. On ne trouve déjà plus d’huile. Et moi dans tout ça ? J’attends tranquillement de savoir si la situation va se calmer ou non. Je fais des rêves désagréables dans lesquels je me vois faire mes bagages forcée de quitter ce pays auquel je me suis tant attachée « …
Le 2 février – » Voilà une semaine que la crise a éclaté. Le ton est monté calmement (les Malgaches sont des gens très calmes, même en temps de crise), pour finir en apothéose samedi dernier avec l’auto-proclamation par le Maire de la capitale de sa nouvelle position de dirigeant du pays. Il a décidé que dorénavant les ministères, la banque centrale, et l’armée lui obéiraient.
Les Malgaches rigolent. On a l’impression d’assister à un spectacle de marionnettes. Les deux personnages principaux sont relativement similaires. Ils sont originaires de la même ethnie, celle qui détient de longue date le pouvoir administratif et financier à Madagascar. Ils sont tous les deux entrepreneurs partis de rien (l’un dans les produits laitiers puis maintenant dans tout ce qui fait de l’argent – le Président depuis 7 ans – et l’autre dans la communication).
Ils ont tous les deux un égo surdimensionné et une soif avide de pouvoir. Ils violent tous les deux la constitution, le vrai Président en la changeant constamment pour qu’elle convienne mieux à ses intérêts personnels, et le nouveau Président auto-proclamé, en s’auto-proclamant Président. Leur seule différence auparavant : il y en avait un qui régnait et l’autre qui était dans l’opposition. A Madagascar, il n’y a pas vraiment de gauche ou de droite, de républicains ou de démocrates, de socialistes ou de libéraux. Il y a ceux qui règnent et l’opposition.
Or, là où certains débarquent à grands renforts de chars, d’armes et de généraux pour renverser un pouvoir en place, notre Andry TGV a mis son costume, a fait un discours où il s’est auto-proclamé dirigeant du pays, et il est rentré chez lui (et non au palais présidentiel). Les Malgaches seraient-ils tellement mora-mora (expression signifiant mollo-mollo, très souvent utilisée sur la grande île) que même leurs coups d’Etat seraient mous ? En tous cas, on ne sait plus qui règne et qui est dans l’opposition…
Et maintenant ? Ils sont tous les deux au pouvoir, tous les deux soutenus par une partie de la population et par certains politiciens. Le vrai Président, Marc Ravalomanana, fait remarquer qu’il est toujours le Président qui a été élu démocratiquement, et ce encore pour 3 ans. Il demande aux Malgaches de reprendre une vie normale. Le Président auto-proclamé, Andry TGV Rajoelina, insiste que c’est à lui qu’il faut obéir, que la Banque centrale ne doit plus verser d’argent au gouvernement qu’il a décidé déchu, que les ministres doivent faire ce qu’il demande, et que de toutes façons c’est la grève générale…
Les politiciens malheureux, ceux qui s’étaient vus écartés après la dernière crise, reviennent sur le devant de la scène. Ils se réunissent, calmement, attendant d’avoir de vraies consignes. Même à Ambovombe, ceux qui avaient retourné leurs vestes en 2002 pour continuer à ce que leurs intérêts soient bien servis par les partisans de Ravalomanana, se sont empressés de remettre cette veste à l’endroit dès qu’ils ont senti un changement dans le rapport de force. Et pourtant, qui a l’avantage dans ce bras de fer ? Pour l’instant, les deux sont plus ou moins égaux. On ne sait pas encore de quel côté va finir par pencher la balance. On ne sait surtout pas comment cela va se faire. Est-ce le spectacle va se finir par la marionnette Andry qui enlève son costume et rentre chez lui, ou bien par un consensus national le reconnaissant comme président, ou encore par une bonne grosse crise bloquant le pays pendant 6 mois jusqu’à ce que la communauté internationale impose sa solution démocratique ? En tous cas, il n’y a aucun gendarme pour taper sur l’un ou l’autre de nos deux guignols…
Ce qui est sûr c’est que ceux qui ont le désavantage sont le commun de la population Malgache. Des milliers d’emploi sont partis en fumée dans les incendies et pillages de la semaine dernière. Les produits alimentaires issus de l’industrie se vendent de plus en plus cher. Mais ils restent calmes et rigolent, critiquant leurs politiciens qui passent trop de temps à faire des spectacles inutiles, et pas assez à améliorer leur situation… Et moi ? J’ai finalement trouvé de l’huile. Et je remercie aussi tous ceux qui m’ont écrit depuis mon dernier mail « .
Les photos sont de l’auteur de ces deux lettres.
voilà qui nous change un peu des fichiers RAW…
Quoi dire, on est bien trop loin pour comprendre ici. Mais ce qui est certain, c’est que pendant ce temps, ce sont les pauvres gens qui trinquent… Merci pour ces nouvelles.
Merci et surtout merci à notre correspondante pour cette carte postale un peu désenchantée, mais intéressante et touchante.
il faut du courage pour rester sur place en tous cas. Lire chez Libe :
http://www.liberation.fr/monde/1101354-slideshow
ça a pas l’air de rigoler…
Merci !
Merci pour ces lettres, dont la lecture m’a beaucoup touché et propose un regard si personnel et si différent des médias classiques.
Voici une agence de la Réunion qui a suivi depuis le début les événements actuels.
http://www.ipreunion.com/reportage.php?id_reportage=4574
Mada, c’est pas simple. Quand on arrive, on a envie de repartir, le lendemain, on se demande pourquoi tous ces gens ont le sourire en permanence, le troisième jour on a plus envie de rentrer…
Ca chauffe aussi en Guadeloupe et Martinique
Monde de merde, finance de merde
Vive le Facteur
Le facteur ne passera pas lundi mardi mercredi ….
felicitation!!!!!!!!!