Notre collègue Vincent Munier est désormais un habitué des tests de matériel, que Nikon Japon réalise avant la fabrication et la diffusion en grande série d’un nouveau boîtier pro. Il nous livre ses impressions au retour d’une expédition au Tibet (site Nikon Professional insights), dans un environnement très exigeant.
Peux-tu Vincent, nous donner quelques détails sur cette incroyable image du Yak sauvage, vu de face ? On a l’impression qu’il te charge ?
Toute la difficulté de cet animal, c’est soit tu tombes sur des troupeaux hyper farouches, à plus de 300m : ils se sauvent et changent de vallée… Ou bien tu as un mâle solitaire qui peut t’accepter, mais avec de grand risque de charge ! Les tibétains en ont une peur bleue.
Film Elusive shadows par Vincent Munier sur Vimeo.
A quelle distance étais-tu ? Peut-on courir avec un D4 et un 600 mm à la main ?
Ici désolé de te décevoir, mais c’était un gros coup de bol… On est arrivé dessus en 4×4 sans le savoir. Donc ont ne risquait rien, seul notre vieux Toyota risquait quelque chose ! Un mâle en a détruit deux dans le secteur en septembre dernier.
Ici il était, à juste titre mécontent. il a fait une charge d’intimidation pour ensuite s’en est allé tout doucement. A pied, jamais je n’aurais pris le risque de l’approcher d’aussi prés…
Est-ce compliqué d’aller travailler au Tibet, par exemple pour tout ce qui concerne les autorisations ?
Oh que Oui ! Alors le mieux c’était d’être discret. Jusqu’au dernier moment nous n’étions pas sur que Nikon accepte de partir là bas. Mission hyper délicate d’emmener les trois seuls prototypes du marché, dans un pays comme la Chine, dans une zone stratégique en plus… Le Tibet !
On peut dire qu’ils ont été « couillus ». Corey Rich avait les 3 boitiers juste avant moi. 1 journée de nettoyage et je réceptionne le matos à Pékin.
Et c’était parti pour 3 semaines d’aventure !
Pourquoi le Tibet ?
Je leur avais proposé… J’avais passé tout le mois d’octobre là-bas, je connaissais un peu les lieux et j’étais à fond dedans. D’autres destinations avaient été envisagées, notamment l’Antarctique. Mais pour des problèmes de confidentialité, nous y avions renoncé (il aurait fallu embarquer sur un navire avec un équipage). Il y avait un trop grand risque que le boîtier soit exposé.
Et puis, ça manquait un peu d’originalité, les manchots on en a tellement vu… C’est sûr, cela aurait été plus simple pour moi de répondre à la « shooting list ». Mais le défi aurait été un peu moins excitant.
Cependant j’étais surpris qu’ils acceptent, car pour une campagne commerciale c’était une destination très risqué. Car les animaux y sont très farouches et méconnus. Du coup, pas aussi charismatique qu’un ours, qu’un loup, ou qu’un aigle…
Que voit-on de spécial là-bas ?
Ces fameux ânes sauvages, les Kiangs qui vivent sur les plateaux. Les chirus une antilope magnifique. La Gazelle du Tibet et surtout the King of the plateau : Le Yak sauvage !
Rare comme tout et tellement plus gros que le yak que tout le monde connais. On a vu aussi du loup, des renards… Mais super dur à photographier.
Quelle était ta mission pour ces tests du D4 réalisés pour Nikon ?
Je devais principalement tester la robustesse du boîtier, l’autofocus et la vidéo en Full HD. Cinq photographes ont été recrutés pour tester le Nikon D4 quelques mois avant sa sortie.
Des Américains, Bill Frakes, Joe McDonald, Corey Rich, un Allemand (Mattias Hangst) et moi. Nous venons tous d’horizons différents, le sport, la mode, etc… Pour ce qui me concerne j’étais chargé des photos de nature avec une mission bien définie : tester le D4 dans un milieu extrêmement dur.
Quelles étaient les différences avec les précédents tests réalisés pour Nikon ?
Pour le D3s, on n’était que deux, Bill Frakes et moi. Nous avions donc beaucoup plus de points techniques à tester. Ici c’était un peu plus cool du coup, la charge de travail étant répartie, j’ai pu me faire encore plus plaisir au niveau de la photo…
Pendant ces tests, qu’est-ce qui fut le plus exigeant pour le boîtier ?
La poussière et le froid ! Bien sur, on vivait sous tente. Car là où sont les animaux, il n’y a pas de nomades. Donc conditions rudes…
A -35°c, le son du déclenchement est un peu grippé, mais ça fonctionne. Malheureusement pour moi, j’attendais la neige ! Mais un froid sec, avec des vents violents et du coup une poussière terrible. Et ça croquait fort dans les bagues de zoom et de mise au point !
Alors, tes conclusions ? Côté fiabilité et AF par exemple…
Côté robustesse, aucun problème, c’est du très costaud. Pour l’autofocus, je devais réaliser des images dans des conditions de lumière difficiles. Et là encore, c’est très bien, parce que le D4 est bien plus précis et plus performant que le D3S dans les basses lumières.
On va aussi pouvoir bénéficier de l’AF quand on utilise un 600 mm avec un doubleur. Précédemment, on perdait l’AF à f/5,6. Alors qu’avec le D4, il reste toujours opérationnel à f/8, avec 15 des 51 points AF encore actifs. C’est un petit plus pour l’animalier, comme j’ai pu le constater avec les espèces sensibles que j’ai photographiées au Tibet.
Utilise-tu souvent la très haute cadence de 10 im/sec (et 11 im/sec sans AF) ?
Oui ! Mais pas très souvent les 11 im/sec.
Quels objectifs as-tu utilisé principalement ?
Dans ce genre de mission, c’est grand luxe car tu as tout ce que tu souhaites. Mais en l’occurrence, le 600 mm et le 200-400 mm f/4 que tu connais déjà… Ces deux là ont été mes principaux objectifs.
As-tu essayé de nouveaux objectifs avec lesquels tu n’avais jamais travaillé ?
Oui, la nouvelle gamme des f/1,4… Le 24 mm, le 35 mm et le 85 mm. Fantastiques pour les portraits dans la yourte, à la lumière de bougie seulement, c’est sont des optiques idéales.
Es-tu satisfait du passage de 12 Mpix à 16 Mpix ?
Oui, c’est mieux que 12 millions de pixels. Ça permet d’avoir des fichiers un peu plus costauds que l’on peut recadrer au besoin. Et l’on bénéficie d’une meilleure qualité d’image, puisqu’on a un peu plus d’infos, tout en gardant une cadence de déclenchement rapide… Légèrement supérieure à celle du D3S.
La forme plus arrondie du D4 te semble-t-elle plus agréable ?
A vrai dire, je me moque un peu de l’esthétisme ! Tu t’en doutes…
Apprécierais-tu un boîtier un peu plus léger ? Le changement n’est pas énorme de ce côté là…
Sur un gros télé, un boitier pro équilibre bien le tout sur la rotule. J’ai aussi un D7000 qui me plait bien, quand j’ai besoin de légèreté.
Le capteur du D800 m’attire plutôt, pour le paysage. Mais pour une question pratique, je mettrais un grip pour pouvoir utiliser les batteries du D4. Et au final on arrivera au même poids.
J’ai lu que l’autonomie des nouveaux boîtiers pro était en baisse pour des raisons de norme. Cela t’aurait-il gêné en pratique ?
Ah ça oui, c’est un peu gênant… Celles du D3s étaient top, mais pour une histoire de normes, ils ont du réduire l’ampérage. C’est ennuyeux, surtout pour la video qui est gourmande en énergie. Tu trouveras plus d’infos ici : robgalbraith.com.
As-tu utilisé les nouvelles cartes XQD ? Tu n’aurais pas préféré des CF ?
Là, Nikon est très novateur et c’est top ! Au Tibet, on ne les avait pas, car Sony n’était pas prêt. En ce moment, j’en utilise et on a une écriture hyper rapide. Je regrette même de ne pas disposer de deux slots en XQD !
Comment se comporte le Nikon D4 à haute sensibilité ?
Pour les prototypes utilisés au Tibet, les ingénieurs m’ont demandé de ne pas shooter trop haut dans les hauts ISO, car tout n’était pas encore finalisé, mais que théoriquement on serait un cran au dessus que le D3S.
Dans la version définitive que j’ai actuellement, je trouve que c’est idem à ce niveau. A 12 800 on a un bruit équivalent.
As tu noté des changements ergonomiques importants ?
L’ergonomie des deux boîtiers est très similaire. Nikon a rajouté des Joysticks en haut en bas, pour la prise de vues en vertical. Ils sont en principe plus accessibles pour les doigts, mais pour être franc, je ne les ai jamais utilisés.
Par contre, j’ai beaucoup aimé le rétro éclairage des boutons. Ça c’est tout bête, mais c’est super ! Quand tu te retrouves dans un affût où tout est sombre, ça permet de retrouver plus facilement et plus rapidement tes commandes.
C’est une remarque que j’avais soulevé avec le D3s, apparemment il en aurait tenu compte. L’intensité lumineuse de l’écran arrière varie en fonction de la luminosité ambiante, c’est appréciable également.
Et côté vidéo ? J’ai vu un superbe film sur le site Professional insights…
Avec l’AF qui est super performant en faible lumière, la vidéo est le second point fort du D4. Nikon a sérieusement rattrapé son retard relatif dans le domaine da la vidéo. Le D3S était bien, mais avec une résolution de 720p, on se trouvait un peu limité. Et puis, il était un peu perdu dans les basses lumières.
Quand je filmais dans la brume, j’ai souvent été déçu, parce que ça faisait des halos, ça bavait, on perdait du détail. Avec le D4, plus de problème de ce genre, il est vraiment au plus haut niveau !
Tu as également réalisé un documentaire en Ethiopie…
Nous avons tourné un documentaire de 52 minutes en Éthiopie (diffusion en septembre sur France 2), rien qu’avec des D4 et la boîte de production est enchantée de la qualité !
Il y a plein d’aspects positifs dans les fonctions vidéos du D4 : on peut vérifier le son sur l’appareil (prise casque intégrée). On peut enregistrer en direct en HDMI et tourner en Full HD dans plusieurs formats.
FX et DX, bien sûr, mais aussi un format plus restreint avec lequel on bénéficie d’un coefficient multiplicateur de 2,7x et d’une cadence de 25 i/s. Dans ce contexte, le 600 mm devient un 1 620 mm. Il te faut bien sûr une très bonne rotule pour éviter que ça bouge, mais c’est comme ça que j’ai pu faire des vidéos très lointaines de vautours sur des carcasses, d’aigles, etc.
Avec ce facteur de recadrage, la qualité vidéo (Full HD) est exactement la même qu’en plein format (Full HD). Seul le cadrage change (la taille du capteur d’un reflex est largement plus large que la surface nécessaire à la vidéo Full HD, ce qui permet d’exploiter une surface recardée). Ça ouvre des perspectives très intéressantes pour la vidéo animalière !
Tu te lances dans la production vidéo ? As-tu de nouveaux débouchés de ce côté pour ton travail ?
Priorité à la photo, mais de plus en plus je filme avec l’idée de faire des petits clips. Et pourquoi pas à l’avenir, d’autres documentaires. Je découvre ce monde avec intérêt.
Photos Vincent Munier ( vincentmunier.com ).
Copies d’écran du film visible sur le site Nikon Professional insights.
Propos recueillis par Jean-François Vibert.
Magnifique !
Bravo Macandphoto, c’est superbe
… et bravo Vincent Munier surtout ;-)
Merci pour cette interview, extra !
J’attends le docu sur l’Ethiopie en Septembre avec impatience ! (merci pour ce « scoop »)
ps : il parait que vincent vend son 600mm en ce moment chez audiophil… pour le remplacer par quoi ?
Merci JF pour cet interview et merci Vincent pour ces images !
ça c’est une belle interview !
Il murit le Vincent ! Superbe !
Merci pour cet article. C’est bien plus intéressant que les dissertions fumeuses sur la dynamique (dont on se fout totalement en pratique) par d’autres site totalement geek…
Je suis d’ailleurs frappé par l’honnêteté de Vincent qui explique que les performance en haute sensibilité n’ont pas changé (vu le très léger gain en résolution, on peut dire qu’elle ont très légèrement progressés)…
Les arbres ne montent pas au ciel !
Très belle photo ! Qui doivent certainement plus à leur auteur qu’au D4…
TOP..!
super !!!
Merci pour la qualité de l’interview comme d’hab et à Vincent Munier pour ces réponses toujours intéressantes, bravo à tous les deux !
Du macandphoto comme on aime ;-)
On revient sur du sujet réellement intéressant, pas de la pseudo-polémique pour faire monter les compteurs… et c’est ça qu’on aime !
Retour très franc et très instructif, merci !!
même si c’est pas moi trip de photo super boulot et beau boitier
Moi ce genre de photos et de récits « test terrain » de boitier, ca me motive à acheter…
Allez, hop direction la gare pour un nouveau billet vers l’aventure ;)
Bravo à Vincent, et à JF, j’adore ces retours terrains (j’ai failli partir au Spitzberg à cause de tes bétises, heuresement que ma femme veillait au grain, direction le pays du malt à la place ;) )
Merci Fabrice !
Mais il faut absolument faire ce voyage au Spitsberg (tu as les coordonnées du bateau dans mon papier)…
C’est comme un voyage hors du temps ! Extrêmement dépaysant… Vraiment je le recommande !
J’aime beaucoup ces montages photos/vidéos.
C’est réalisé avec quel logiciel ?
Merci !