Chaque mois dans le mensuel Déclic Photo, je décrypte pour vous une de mes photos et vous livre l’histoire de de sa fabrication… Sans oublier d’évoquer le contexte, « la petite histoire de l’image ». De temps à autre je vous proposerais sur cette page une de ces images, parues dans un précédent numéro.
Ou, quand, comment, pourquoi
C’est au cœur d’une haute vallée perdue du Zanskar au Ladakh, que j’ai croisé cette femme, magnifique et fière. Nous sommes à plus de 4000 mètres d’altitude et à cinq jours de marche du premier bourg. Notez la poignée de « Pashmînâ » (duvet précieux protégeant le cou des chèvres d’altitude Tchang-ra), qui orne son Gonda, tenue traditionnelle Ladakhi. Vendus quelques dollars à des colporteurs Cashmiris, ces fibre extrêmement chaudes et fines seront tissés à Srinagar dans l’état voisin du Cachemire. Après des mois de travail minutieux, certaines étoles seront vendues à prix d’or dans les grandes capitales du monde.
Le secret de fabrication
C’est la position hiératique de cette paysanne des montagnes, qui donne à l’image sa présence étonnante. Ce n’était pas totalement calculé à la prise de vue (comme souvent ;-) mais la composition triangulaire de l’image renforce sa stature et l’aspect imposant du personnage. J’aime aussi la texture intéressante de la hotte traditionnelle servant à ramener le bois ou les récoltes.
Pour la rendre plus imposante, j’ai choisi une légère contre plongée difficilement obtenue en fléchissant les genoux, déjà assez douloureux… Ce jour là nous avions marché huit heures et il restait encore deux heures avant le bivouac, la journée la plus épuisante dont je me souvienne.
Le détail qui compte
Je me souviens de ses mains qui étaient impressionnantes. J’ai tenté sans succès d’en réaliser un gros plan, mais je ne voulais pas déranger trop longtemps cette dame, qui s’était bien gentiment laissée photographier (les gens de cette vallée sont bouddhistes et ne refusent pas les photos)…
Ces mains en disent long sur les conditions de vie rigoureuses qu’affrontent les populations du Ladakh, coupées du reste du monde cinq mois par ans à cause de la neige. Pour autant les femmes restent coquettes, quelque soit l’altitude ou le climat. Remarquez les ongles soignés, les fins bracelets d’argent, la longue natte et les boucles d’oreille.
Les réglages de l’appareil
En 2005, je m’interdisais de dépasser la sensibilité de 100 ISO en JPEG (en intérieur j’accédais exceptionnellement à 200 ou 400 ISO, à condition d’utiliser le format RAW). La vitesse (fixée en priorité vitesse) était de 1/100e, de façon à limiter le risque de flou de bouger (à 4000 mètres d’altitude on tremble davantage, faute d’oxygène). Il résulte de ces paramètres, une ouverture moyenne de f/8 (à noter que le filtre polarisant mangeait au moins une valeur d’IL).
Ajoutons pour être complet, que j’appliquais à cette époque une correction systématique de moins 1/3 de diaph en JPEG, de façons à préserver les plus hautes lumières. Il y a longtemps (heureusement) que cela est devenu inutile…
La petite astuce
Faute d’espace de stockage suffisant à l’époque (en juin 2005 j’utilisais deux Canon EOS 20D de 8 Mpix), j’avais été contraint de travailler majoritairement en JPEG lors de cette traversée du Zanskar (10 jours de marche en quasi autonomie électrique).
Je regrette de ne pas avoir pu acheter davantage de cartes CF (elles étaient très couteuses), ce qui m’aurait permit de travailler exclusivement en RAW. Heureusement je peux aujourd’hui « noyer » légèrement le manque de définition du fichier original, en utilisant l’effet grain de Lightroom. Il est donc possible d’envisager un excellent tirage jusqu’à un mètre soixante de large.
La planche contact
Lorsque je croise un sujet aussi intéressant, je commence par réaliser très vite des images de loin, en intégrant si possible les personnes au cœur du paysage. Car souvent un portrait prend tout son sens à condition d’identifier son environnement. Ensuite je m’approche doucement en demandant l’autorisation de photographier. Souvent tout s’arrête ici…
Mais cette fois, j’ai pu tourner autour de ce groupe de femme et j’ai même obtenu qu’elles se tournent face au soleil. J’avais besoin de lumière directe pour éclairer leurs visages et je voulais à l’arrière plan, les montagnes arides du Zanskar reconnaissables à leur couleur si particulière.
Le développement
Initialement réalisée en couleur, j’ai repris récemment cette image en noir et blanc, pour lui donner une nouvelle vie. Il est plus facile de modifier librement les contrastes en monochrome, sans que cela choque. Plus qu’en couleurs, on peut s’éloigner de l’équilibre des valeurs et du « réalisme photographique », voilà le grand secret du noir et blanc…
Paradoxalement la photo numérique donne une nouvelle jeunesse au Noir et Blanc. Assez traditionnellement j’ai refermé la composition en vignettant légèrement le cadre. Cela convient bien à la composition classique de cette image, qui fait davantage penser à une icône qu’à un cliché de reportage.
Le matériel
Le boîtier : reflex de 8 Mpix à capteur CMOS APS-C.
L’objectif : zoom stabilisé EF 16-35 mm f/2.8 L USM non stabilisé.
Les accessoires : filtre polarisant circulaire 77 mm.
Les données de prise de vue :
Mode : Priorité vitesse (car il y a plus de risque de bougé en altitude).
Ouverture : f/8 (garantissant les meilleures performances de l’optique).
Sensibilité : 100 ISO (en 2005 il fallait mieux s’en tenir là, surtout en JPEG).
Vitesse : 1/100e de seconde (je ne prenais pas trop de risque).
Focale pratique : 16 mm (en pratique 25 mm en équivalent 24×36).
Magnifique portrait ! Y a pas le noir et blanc, ça jette !
Est-il possible de te commander un tirage par hasard ? Je l’aimerais bien dans mon bureau… Après tout les photos c’est fait pour ça non?
Oui, c’est possible.
Passe moi un mail STP : vibert@actionreporter.com
merci, ces photos expliquées sont un vrai gros plus selon moi!
J’aime beaucoup cette photo!
La forme des montagnes, les nuages, les bras, la forme de la hotte, les cheveux au vent: tout ça dans un meme mouvement harmonieux qui fait « décoller » le visage
Très chouette!
Vraiment bien, ces photos décryptées. Ça donne un bel aperçu de tout ce qui tourne autour de la photo, de ce qui est technique et ce qui ne l’est pas !
En plus, avec de bien belles images.
Merci !
J’apprends à l’instant que mon application préférée Week Cal HD…
http://www.macandphoto.com/2011/06/week-cal-hd-ridiculise-le-calendrier-dapple.html?cid=6a00d8341c048f53ef01538f234ecc970b#comment-6a00d8341c048f53ef01538f234ecc970b
Vient de disparaitre de l’App Store ! ! !
Alors là, ça va pas le faire…
La forme des montagnes, les nuages, les bras, la forme de la hotte, les cheveux au vent: tout ça dans un meme mouvement harmonieux qui fait « décoller » le visage
Très chouette!
Je trouve que l’analyse d’une (bonne) photo est un sujet passionnant surtout lorsqu’elle est faite par l’auteur. Il y a des clichés qui « tiennent » par eux même (et non par leur éventuel concept sous jacent) et c’est un grand plus d’en connaître le contexte et les choix techniques qui ont été réalisés mais également des éléments culturels comme ici.
Bravo et continuez à décrypter…
Merci pour les encouragements ! Cela m’engage à continuer…
J’ai déjà écrit pour les 7 mois prochain en avance pour Déclic Photo ;-)
Donc, rendez-vous tous les mois dans Déclic Photo, et de temps en temps ici-même.