Bernard m’adresse ce soir
un mail qui intéressera pas mal de photographes… J’imagine qu’il y
aura quelques réactions, commentaires et réflexions. Personnellement la
question juridique me dépasse un peu, mais je me sens concerné comme la
plupart d’entre nous (on a tous eu droit à quelques réflexions en
faisant des images)… Alors ?
» En tant que photographe amateur passionné par son loisir, je ne me
contente pas de faire des clichés chez moi. La rue est aussi le théatre
vivant qui sied à mes penchants naturels de reporter.
Difficile de photographier l’espace urbain, sans y inclure les gens, car les gens c’est la vie…
Par ailleurs, de la même manière qu’on admet que le pianiste ne joue
pas qu’en concert, et qu’il s’entraîne aussi en « faisant des gammes »,
on peut comprendre que le photographe amateur ou professionnel n’agit
pas dans le seul but de publier, d’exposer ou d’exécuter une commande
ou une demande, et qu’il lui arrive d’utiliser la rue pour faire ses
gammes à lui ( techniques ) : exemple , profiter d’une lumière
contrastée pour tester les performances de son matériel, se
familiariser avec, ou optimiser ses réglages, l’élément humain étant
fortuit dans ce cas.
Or, j’ai l’impression d’une montée générale d’intolérance des gens
vis à vis de ce qu’ils n’arrivent pas à s’expliquer d’une façon claire
et instantanée, comme une présomption de culpabilité qu’ils sont prêts
à infliger ( alors que la présomption d’innocence est la pierre
angulaire du droit français depuis la Révolution Française comme le dit
Robert Badinter himself ).
A plusieurs reprises depuis quelques années,
j’ai eu quelques contacts rugueux, à la limite parfois de
l’altercation, à la ville comme à la campagne, avec des gens que cela
inquiétait visiblement de me voir tourner dans leur secteur avec mon
matériel photo entre les mains.
Tous sans exception m’ont demandé d’une façon véhémente « ce que je
photographiais et pourquoi » ( !? ). Pour le coup, j’eus été en droit
de penser moi même qu’on essayât d’entraver ma propre liberté
individuelle !
Certains d’entre eux, croyant ( à tort ) que je les avais fixés avec
mon appareil, me faisaient valoir leur prétendu « droit à l’image »,
d’autres voyant que j’avais photographié leurs biens privés semblaient
me soupçonner de faire du repérage pour préparer un quelconque mauvais
coup ( dernier exemple en date , en avril dernier dans l’ Yonne lorsque
j’ai
photographié un tas de bûches dans un champ, adossé à un cerisier en
fleurs éclairé par une belle lumière oblique ).
Bien sûr, si on photographie la tour Eiffel ou le Mont Saint Michel,
personne ne s’inquiètera de risquer de figurer dans l’image à son insu,
certains même feront tout pour s’y trouver sans votre consentement. La
banale photo touristique est considérée comme civiquement correcte par
tous ceux qui ne touchent à leur matériel photo qu’en ces
circonstances.
En dehors et de la photo de famille, la photographie
devient suspecte. Et de la suspicion à la culpabilité, il n’y a pas loin.
Je constate que les textes juridiques sont flous et qu’ils autorisent
un vaste champ d’interprétations, malgré une évolution de la
jurisprudence ces dernières années. Celle ci a progressé en faveur du
photographe , quand elle concerne le droit à photographier les biens
privés.
Mais qu’en est il des droits à photographier les personnes ?
Les textes disent que le droit à fixer l’image comme celui à la publier
sont soumis à l’autorisation explicite du sujet photographié, même pris
sur la voie publique. Cependant, la pénalisation ne semble concerner
que la diffusion de l’image, et non sa fixation originelle.
Dans la
pratique, comment donc un plaignant peut il faire valoir son droit sur
la fixation de son image ? On peut gagner un procès si on peut prouver
un préjudice, envisageable dans l’hypothèse d’une diffusion ( et dans
ce cas, c’est pas gagné pour le plaignant ). Mais comment peut il
démontrer le préjudice sur la seule fixation de son image ? parce
qu’elle serait dégradante par exemple ? A défaut, est ce donc un délit
en soi d’archiver la tronche d’un quidam sur son ordinateur personnel,
qu’il ait été ou non le sujet principal de la prise de vue ? Que risque
t’ on vraiment sur le plan du droit pour l’avoir fait ?
Je trouve pour ma part inquiétante cette dérive sécuritaire des
esprits, qui confine à l’intégrisme et à l’obscurantisme imbéciles.
Pour que chaque citoyen puisse préserver son anonymat sur la voie
publique et pour que les photographes ne soient pas taxés de porter
atteinte à leur image, je suggère d’imposer le port du tchador sur la
voie publique, rose pour les filles, bleu pour les garçons ( c’est
préférable pour draguer sans risque, pour peu qu’on ait encore le droit
de le faire ). Dans l’état actuel des choses, les professionnels de
l’image sont hors la loi eux aussi, et la multitude de leurs
illustrations accessibles à tous, illégales de fait.
A bien y réfléchir, et inconsciemment dans la tête des gens, plus que
la prise de vue elle même, c’est l’essor du multimédia qui les
inquiète, et l’impression qu’ils ont qu’avec les moyens de diffusion
modernes, leur image fixée à leur insu leur échappera forcément à un
moment ou à un autre, vu que dans leur esprit, la seule finalité de la
prise d’image, en dehors du touristiquement ou familialement correct,
c’est sa diffusion publique.
Je pense aussi que les moyens modernes de
flicage véritable que sont les cameras de surveillance, la traçabilité
des gens par leurs appels téléphoniques, leur carte de crédit ou
internet , accentuent leur phobie à l’égard de ce qu’ils considèrent
comme leur déambulatoire privé dans l’espace public, à savoir leur
propre image.
Quel est votre avis de professionnel de l’image sur ce point épineux ?
Je n’ose pas vous demander de profiter de ce témoignage pour ouvrir un
forum sur macandphoto mais c’est tout comme. Il permettrait de récolter
des points de vue, mais aussi des témoignages….
Cordialement
Bernard
http://www.foncier.org/articles/111/111Juster.pdf
http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/tice/juridique/article.php3?id_article=1
http://www.scam.fr/Dossiers/fiches/droit_image.html
Il semble qu’à partir du moment ou une personne « s’expose » dans un espace public, il était licite de capter son image et que cette personne ne peut s’opposer à cette captation (sauf cas particuliers comme les flics, militaires, etc.). MAIS que la diffusion de cette image est soumise à l’autorisation de la personne photographiée.
En gros tu peux photographier n’importer qui mais tu ne peux pas utiliser l’image.
Ben oui, bienvenue dans un monde formidable.
La photo de « gens » n’est pas mon fond de commerce, mais les rares fois où j’y suis confronté, c’est juste la galère… mais la galère…
Je voudrais pas être défaitiste, mais bon, faut se faire une raison, la société, notre société, est définitivement partie en vrille.. On pourra pas faire machine arrière, les gens sont à cran pour tout et n’importe quoi.
Merci aux Etats-Uniens pour nous avoir exporté leur modèle de m*rde du procès systématique.
Je vais ajouter une toute petite donnée du problème, peut être un peu maladroite car je suis vraiment en colère :
– trépied = terroriste
Je me suis fait engueuler plusieurs fois par la police alors que je voulais réaliser des poses longues en ville.
Je me suis presque fait confisquer mon trépieds à l’aéroport.
– reflex = terroriste
Alors que je faisait quelques photos abstraites (limite macro) sur l’esplanade de la bibliothèque François Miterrand, je me suis fait accoster par un agent de sécurité qui m’a indiqué que je n’avais pas le droit de prendre des photos avec un reflex. Avec un compact pas de problème mais surtout pas avec un reflex. Quand j’ai entendu ces mots sortir de sa bouche j’ai eu beaucoup de mal à garder mon sang froid, pensant en premier lieu que j’avais tout à fait le droit de prendre des photos si je n’envisageais pas de les publier. Ensuite j’ai tenté de lui faire comprendre que cette distinction compact/reflex était ridicule d’autant que les mois prochains vont voir arriver dans la rue des compacts avec capteurs de reflex.
– problème français ? sans doute que non mais…
Je suis allé cet été en Ecosse, et là, changement total de mentalité, je me sentais autrement plus libre de prendre des photos. Très souvent même j’avais droit à de francs sourires. J’ai même une petite anecdote : alors que je prenais une photo dans Édimbourg, de monuments, bonne lumière, et que j’affinais ma composition, une jeune fille est passé dans le champ, m’a remarquée, s’est placée face à moi en me regardant, et a commencé à « textoter ». Ca à duré près de 5 minutes où cette jeune fille est venue se placer à un endroit absolument parfait pour ma photo ! En partant, elle me jeta un regard et un léger sourire.
Je ne suis pas photographe amateur de rue, mais j’ai le sentiment qu’en s’unissant on pourrait vraiment faire entendre cette voix et faire comprendre au gens que la vie est belle et qu’il vaut parfois le coup de la capturer.
« – reflex = terroriste
Alors que je faisait quelques photos abstraites (limite macro) sur l’esplanade de la bibliothèque François Miterrand, je me suis fait accoster par un agent de sécurité qui m’a indiqué que je n’avais pas le droit de prendre des photos avec un reflex. Avec un compact pas de problème mais surtout pas avec un reflex. »
Je crois que cette distinction est un des trucs les plus ridicules. C’est complètement hallucinant de stupidité.
Moi de mon côté j’ai passé une semaine à Glasgow puis à Belfast avec mon 5D et un 50 1.8 à l’épaule toute la journée, et j’ai pris pas mal de photos, même d’une prison et des policiers devant avec leur véhicule blinde, ils m’ont regardé mais je n’ai encore jamais eu de problème. Mon cousin est allé dans un pays d’Afrique et a eu par contre beaucoup de problème, car pour se faire de l’argent (tous les moyens bons) dans certaines contrés, ou bien dans de grandes villes, certains disent que quand on prend leur visage en photo, on leur vole leurs âmes. Par contre, contre un petite billet, c’est OK :)
Ah ras le bol d’être pris un porte monnaie ambulant dans ces pays sérieux.
Ceci dit, le droit à l’image existe et en France, il est particulièrement contraignant (il y avait un article dans le NY Times il y a 1 ou 2 ans sur le sujet). Mais il ne s’applique pas de la même façon selon le lieu, le photographe, et l’utilisation de la photo (le support), voire la personne photographiée (célébrités). Pour une utilisation commerciale, il faut une autorisation (des parents pour les mineurs), on n’y coupe pas. Se méfier aussi de nombreux bâtiments auxquels s’attache un droit à l’image (considérés comme une oeuvre d’art). Pour la « presse » (définition à géométrie variable avec les blogs et les sites d’information), il y a un droit à l’information qui dans certains cas prime sur le droit à l’image. Les lieux publics ne posent normalement pas de problème (sauf à utiliser un trépied, qui peut être considéré comme une entrave à la circulation), mais attention à leur définition: les gares, le métro, nombre d’espaces comme l’esplanade de la BNF, les galleries marchandes, les musées, etc. sont des lieux privés. Globalement, dans la rue, on peut faire ce qu’on veut en terme de prise de vue (sans aller jusqu’au harcèlement, mais c’est du bon sens), mais pas en terme de diffusion. Autrement dit, vous pouvez prendre la photo d’un passant et la mettre sur votre mur ou en fond d’écran, mais pas la vendre pour une campagne de pub ! Là où ça se complique, c’est pour la photo de rue considérée comme oeuvre d’art (livre, expo). Normalement, si la photo n’est pas dégradante, ne porte pas atteinte à la dignité de la personne, un juge soutiendra difficilement un plaignant (ou la peine sera symbolique). Mais le risque existe. Autre chose à savoir: un policier n’a absolument pas le droit de saisir votre matériel ou d’effacer vos photos (il me semble que la seule exception est pour une scène de crime ou d’attentat). Cela n’empêche pas certains d’essayer, mais restez ferme et poli en affirmant vos droits. Enfin, en photo de rue, une dose de bon sens et l’expérience feront souvent la différence: un bon « street photographer », par son langage corporel, sa confiance en soi, arrive à une sorte d’invisibilité quasiment magique, même à 1m de son sujet ;-)
Vous voulez un exemple qui tue ?
A Tours, pour ceux qui connaissent, le quartier le plus « chaud », c’est La Place Plumereau (plume pour les habitués) avec toutes les terrasses et les belles nanas en robe légère qui pourraient aller avec, ben on peut pas photographier… Copyright de l’architecte de la place pour la disposition de la place, copyright pour le carrelage et la déco générale… etc etc.
Autre exemple, attention, tout ce qui ne relève pas de l’éclairage public… un pont, un monument éclairé par un système mis en place par une société, ben paf, Copyright de l’architecte pour la « mise en lumière ».. etc etc.
La Tour Eiffel de jour, vous pouvez vous faire des c*uilles en or avec vos photos, mais la nuit, avec les lumières, c’est interdit, Copyright… Faut raquer une licence, hors de prix…
Elle est pas belle la vie pour les derniers photographes pros encore vivant que nous sommes ???
Heureusement que je ne compte pas sur la Tour Eiffel pour vivre…
Le seul souvenir que j’ai de plum’, c’est le mal au crane le lendemain……
A lire ou relire, l’excellent mais difficile texte d’une philosophe sur le droit à l’Image :
Sommes-nous propriétaires ou possédés ?
par Marie-José Mondzain
http://web.archive.org/web/20071220015820/http://www.lexception.org/article29.html
La dérive du droit à l’image viens à la base des procès fait aux paparazzis par les célébrités. beaucoup de personne ont cru voir un moyen de gagner de l’argent facilement. aujourd’hui effectivement faire des photos est suspect, un collègue c’est même fait contrôler par la BAC il a du présenter sa carte de presse car il avait un boitier sur lui dans la rue ! Le droit à l’image dans la pratique de la photo de presse devient ubuesque. Faire des photos de la vie ordinaire des gens devient interdit. Le pire c’est que cela intervient même sur des manifestations! Les manifestants ne souhaitent pas être pris en photos! pour la couverture médiatique il y a mieux!
Ce qui me choque le plus, justement, en tant que photographe, c’est que, d’un côté, on est filmé sans arrêt partout où l’on va, et personne ne te demande ton autorisation pour te filmer, mais nous, photographes, on nous impose d’obtenir des autorisations de ceux qu’on photographie…
Tiens, rien que pour ça, il y a quelques années, je me suis dit que puisque Big Brother nous regarde, et bien, moi, je regarde Big Brother :
http://www.wmaker.net/fximageswebzine/photos/Pleurez,-vous-etes-filmes-!_ga8143.html
Pleurez, pleurez, braves gens, vous êtes filmés…
navrant
Il ya en effet un changement des mentalité depuis quelques années, de la part du grand public. C’est à mon sens lié à la fois à l’usage massif des numériques à volo où les photographes en exterieur (amateurs et pro) sont plus nombreux (et n’ont pas le look du touriste). Il y a aussi un effet vicieux dans le monde médiatique et de certaines affaires concernant des peoples et autre. Il y a en effet un amalgame fait par le commun des mortels sur son droit à l’image en tant que sujet de la photographie et le fait d’appartenir à une scène globale. Les grincheux semblent plutot avoir un eventuel interet à glâner un certain pourcentage plutôt qu’à protéger leur vie privée et image d’eux mêmes.
Pour ma part j’ai effectué quelques shooting à la grande bibliotheque sans problème (avec reflex, modèle, et maquilleuse) et d’un autre coté j’ai eu un leger soucis avec une personne qui louait son lieu pour des shooting et qui après plusieurs mois à tenter de fermer mes sites car on y voyait … une de ses portes interieure !
Je pense donc que les citoyens à l’heure actuelle sont en effet oppressés par de multiples attaques de leur vie privée (les caméras, le flicage …) et quelques affaires médiatiques provoquant cette nouvelle méfiance vis à vis des photographes.
Pour ma part quand un « grincheux » vient à moi pendant une séance , ou un simple reperage voire un test, ma solution consiste tout simplement à lui donner ma carte et le cas écheant de se debrouiller avec mon avocat s’il a le sentiment d’etre heurté dans son droit fondamental à l’image. Jusqu’à ce jour je n’ai jamais eu de retour de mon avocat ou de nouvelles de ces grincheux (et ceci malgrès dans de rare cas un échange verbeux soutenu).
tout ceci laisse perplexe… souvent je surprends des regards pas franchement agréables quand je fais des photos en ville… surtout au pied (et de nuit les voitures freinent pensant que c’est un radar…)
Autre exemple récent : des mômes de 12 ans en train de sauter à l’eau depuis un quai sur l’estuaire de la Loire… je passe avec mon boîtier… je photographie mais pas les mômes et l’un d’eux vient me voir… « ne nous prenez pas en photo, car on a pas le droit de se baigner ici »… comme si j’allais vendre les photos à ses parents !