A l’issue d’une intéressante conférence donnée à Arles par Raymond Depardon ; j’ai pu assister à une scéance de questions-réponses, plutôt… Disons, plutôt intello ! Une partie du public posait des questions relativement prétentieuses et souvent longues comme le bras…
Au point que l’on en avait forcément oublié le début, avant d’en arriver à la fin. Questions auxquelles Raymond Depardon s’efforçait de répondre de son mieux : à une question vide de sens, il parvenait généralement à donner une réponse intéressante. C’est probablement à celà que l’on reconnait les « grands maîtres »…
Réveillant la salle qui commençait à s’endormir (il faisait plus de 30°), quelqu’un à soudain demandé : « Monsieur Depardon, travaillez-vous en numérique »… Tiens ? Voilà une question interessante, je tends une oreille intriguée : « Je suis quelqu’un qui progresse très lentement répond le grand photographe. Je commence seulement à me mettre à la couleur… Alors laissez moi un peu de temps avant de passer au numérique ».
Mmmm… Excellent ! Réponse pleine d’humour, d’un brillant auteur. Je suis pourtant prêt à parier qu’il s’est déjà discrètement essayé au numérique : un esprit aussi brillant ne peut aujourd’hui tout simplement pas « passer à côté » d’une telle révolution. Pas plus que l’on ne peut passer à côté d’internet ou du four à micro-ondes pour réchauffer sa gamelle… Mais Raymond Depardon préfère probablement éviter d’aborder ce sujet en public (ou avec ce public). Car il a bien plus interessant à raconter sur d’autres sujets (c’est pour cela qu’on est venu d’ailleurs)… La suite de la discussion me conforte dans cette idée…
Un peu plus tard il ajoute : « Le numérique c’est fait pour aller
très vite. Moi j’ai tout mon temps, alors je n’en ai pas vraiment
besoin. Mais je n’exclu pas de m’en servir un jour… Si j’ai besoin
d’aller vite » : je vous rapporte ces paroles de mémoire (donc de façon un peu approximative).
Je ne suis pas loin de penser exactement le contraire. C’est à mon
avis mal connaitre la photo numérique que de la réduire à une simple
prise de notes rapides… La photo numérique permet de tout faire,
c’est un outil (un outil parmi d’autres) extrèmement souple : on peut
en effet travailler très vite ! Mais on peut également prendre tout son
temps et paufiner ses images très lentement, très patiement, très
finement… Par exemple, multiplier les versions d’une image jusqu’à
atteindre l’excellence… Et choisir la meilleur à la fin.
Je serais même tenté d’ajouter que l’on peut aller beaucoup plus
loin en RAW puis sous Photoshop, que tout ce que le plus expérimenté
des tireurs peut imaginer faire sous un agrandisseur… « Donnez moi un
point d’appui et un levier et je soulèverai la Terre. » avait dit
Archimède… Il faut comprendre que le numérique (au delà même de la
photo) est un « levier » incroyablement puissant : le tout est de bien
choisir son point d’appui (ou son point de vue) !
Mais tout ceci n’est qu’anecdote. Ce n’est pas sur ce site que nous
allons perdre notre temps en d’inutiles débats « argentique contre
numérique ». L’affaire est entendue
depuis plusieurs années déjà : le numérique a remplacé (remplacera)
l’argentique. Argentique que nous ne souhaitons d’ailleurs aucunement
voire disparaitre pour autant, je vous renvois à l’aventure Africaine d’Olivier Jobard à ce propos.
D’ailleurs, puisqu’on en parle : sera-t-il toujours possible dans
quelques années de travailler « à l’ancienne » ; avec des bobines de
films, que vous pourrez faire développer et faire tirer dans n’importe
quel coin du monde ? Peut-être que oui, mais cela se fera probablement
au prix de dépenses importantes…
Personne ne peut se réjouir de la
disparition totale des procédés argentiques. Ce n’est pas parce que
nous sommes enthousiasmés par les possibilités quasi infinies ouvertes
par le numérique ; qu’il faille applaudir à la disparition de tout un
savoir faire technologique et artistique.
Quasiment deux siècles de progrès qui risquent d’être balayé en
moins d’une décennie ! A l’ère d’Internet et de l’impression jet
d’encre, on forme chaque année quelques artisans pour restaurer,
calligraphier et relier… des parchemins en peau de mouton ! Puisse-t-il
en être de même, pour la sauvegarde des procèdés argentiques.
Jeff je te reconnais bien là ! ! ! Ahah…
Comparer la photo argentique au parchemin, tu y vas fort tout de même !
Mais dans le fond pourquoi pas : il y a bien moins de différence entre la nature d’une photo argentique et celle d’un parchemin… Qu’entre celle d’une photo argentique et celle d’une photo numérique. Qui est dématérialisé, reproductible à l’infini et transmissible partout dans le monde en 2 secondes !
A ce titre nous avons changé d’ère (du moins dans le domaine de la communication entre les hommes) ! Le 20em siècle était plus proche de l’an 1000 que le 21em ne le sera du 20em… C’est la révolution numérique.
la photo argentique Vs la photo numérique, c’est à mon avis un débat éculé (sans faute d’orthographe…). L’important, c’est la photo. C’est comme ceux qui préfèrent écrire avec du papier et un stylo et ceux qui écrivent sur traitement de texte. Ils écrivent, tout court.
Ben justement je peux te dire que cela implique des sacré différences d’écrire au stylo ou au traitement de texte ! Et il y a eu de sacré débats à ce propos également ! Le style en est changé… Et toute une génération d’écrivain est en train de boulverser la vieille garde grâce à ce nouvel outil ! L’écriture en est très très diffrente !
Je peux t’en parler j’ai rédigé mes premiers articles au crayon de papier ! Pour pouvoir gommer et reprendre…
Depardon a fait une réponse semblable à celle que David Bailey avait faite à un journaliste qui lui demandait la marque de son appareil : « Auriez-vous demandé à Hemingway sur quelle machine il tape ses manuscrits ? »
… ça c’est bien dit !
La semaine dernière, j’ai vendu mon D70… (je me suis dépêché suite à l’nnonce du D80). Et j’ai repris mon vieux EOS300 argentique le temps de quelques photos de famille.
Bouuuh ! Quelle horreur l’argentique lorsque l’on doit y revenir, quel chemin de croix… Cela n’a plus pour moi que des inconvénients. J’avais l’impression de travailler avec un apareil préhistorique. L’argentique est bien mort et tant mieux !
Comme je connais un peu les deux, je ne peux que m’inscrire en faux dans la comparaison entre l’écriture et la photographie. Le seul tort du traitement de texte, c’est de faire disparaître le manuscrit, mais ça ne fait aucune différence pour le grand public quand il voit l’œuvre finale: c’est toujours du papier imprimé. Certes, cela facilite la tâche, surtout les corrections, mais rien ne permet de dire que les écrivains classiques auraient fait de meilleurs livres, ou des livres différents avec un traitement de texte. On peut même en douter.
Dans le cas de la photo, c’est toute une dimension artistique qui disparaît, la beauté du support, le velouté du grain, et le photographe qui change pratiquement de métier quand il réalise son image autant sur Photoshop qu’à la prise de vue. C’est ainsi que Markus Klinko se présente comme un « photographiste », et non comme un photographe de mode, ce qui a du moins le mérite de l’honnêteté, parce que la photographie numérique brouille toujours plus la frontière entre le réel et l’imaginaire, la photographie et l’illustration.
Les exemples de manipulation existaient avant la palette graphique, mais on est arrivé à un stade où l’on ne croit plus ce qu’on voit. Artistiquement, cela peut-être intéressant, mais c’est aussi dangereux dans bien des cas, sans parler de la perte de toute spontanéité dans ces images qui ont perdu en charme ce qu’elles ont gagné en perfection technique.
TomCom, tu as sûrement raison, je refuse de rentrer dans ce genre de débat !
Ce que disait David Bailey, c’est uniquement que la marque du matériel n’a strictement aucune importance. A l’époque où il a répondu ça, dans les années 70, il n’y avait que l’argentique et la machine à écrire …
Juste pour info l’un des stylos favoris de Monsieur Depardon est un Alpa 12wa à décentrement qu’il utilise avec un grand angle, et un dos 6X9, avec un film riche en argeant dont j’ai oublié le nom. A voir ses photo « d’errance » on comprend toute la notion de « temps faible » qui se conjugue parfaitement avec l’utilisation de moyen ou grand format. Je crois que vous avez oublié de parler de plaisir lors de la prise de vu, et en numérique je me sent toujours un peu plus presse bouton qu’en moyen format argentique ; toutefois a propos dela rapidité du numérique, il m’est beaucoup plus long de faire un bon tirage en numérique plutot que dans ma chambre noir question d’habitude peut-etre.
Fuyons ce débat qui réduit la photographie à la seule technique. Que je sâche, et sans vouloir heurter ce noble et beau métier, aucun imprimeur ne figure parmi le jury du Goncourt…
Ceux d’entre vous qui connaissent les tirages 20×25 par contact de Nicholas Nixon, les grands formats de Stephen Shore, les incroyables tirages de Pentti Sammallahti ou, on y revient, les images de Depardon à l’Alpa comprendront mon propos.
Je parle d’émotion face à un tirage détaillé, piqué, vivant, à l’instar de la peinture hyper-réaliste américaine.
Alors, huile ou acrylique?
En revanche, je suis d’accord sur le fait que le numérique altère l’écriture photographique, et peut l’enrichir parfois. Dans mon travail de commande, il a profondément modifié ma perception des choses. Il est un outil créatif à part entière.
Mais dans une pratique d’auteur, je reste attaché à l’argentique, et à mes bons vieux Leica.
Je prendrais pour exemple le carnet d’Europe de Patrick Bard, « Brest to Brest » (travail que l’agence Editing s’est vu imposé en numérique, sous la pression du partenaire Canon), son style marqué reste inchangé, et pour avoir vu les tirages d’expo, on regrette presque qu’il ne fut réalisé sur kodachrome 64…
Enfin, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ai l’ivresse.
… le plaisir à la prise de vue auquel il faut ajouter une notion de confort. Entre ce que je vois dans le viseur d’un D70 et ce que je peux cadrer dans celui de mon Leica M4, il y a un univers. Toute ce que nous percevons au moment d’appuyer se retrouve, d’une manière ou d’une autre, sur la photo. J’avoue que je me sens mieux avec un Leica M, un Nikon F100 et maintenant avec un Leica M8.
L’objet appareil est important. Et si Depardon (et bien d’autres pros ou amateurs) ne passe pas au numérique j’imagine que c’est en grande partie parce qu’ils n’ont pas trouvé un appareil qui leur plaise. Certes il y a une méfiance qui favorise un manque de connaissance du numérique, mais un photographe c’est comme un cycliste ou un peintre, le boîtier, le vélo ou le matériel de peinture sont essentiels.