Si l’on en croit le second communiqué de presse diffusé par l’avocat de Dominique Aubert, les circonstances de la liquidation judiciaire de Sygma ne seraient pas aussi limpides que nous n’aurions pu le penser initialement (relire Mise en liquidation judicière de Sigma et Affaire Sigma suite). Mis sur la sellette par certains collègues (ici même en commentaires, mais pas seulement), Dominique Aubert se déclare » solidaire des photographes de presse, regrette évidemment cette liquidation mais rejette toute responsabilité à cet égard « . Voici donc un second communiqué de presse, très instructif, que je vous engage à le lire jusqu’au bout. N’est-il pas un peu simple et rapide de faire « porter le chapeau » de cette liquidation sur la tête d’un seul homme ? Si vous avez un point de vue sur la question n’hésitez pas à l’ajouter en commentaire (en vous rappelant que je supprimerais tous débordements).
» Monsieur Dominique Aubert souhaite faire part de son point de vue sur la liquidation judiciaire de Corbis Sygma, celle-ci en faisant en grande partie porter la responsabilité sur son ancien reporter photographe, ce qui est contraire à la réalité des faits.ainsi que rétablir la réalité sur certains points.
Dominique Aubert, connu notamment pour ses reportages en Afghanistan et au Liban, et qui a remporté plusieurs distinctions du World Press Photo, cherche depuis 2002 à faire reconnaître par Corbis Sygma ses droits de photographe et d’auteur.
Contrairement à ce que soutient Corbis Sygma, Dominique Aubert n’a jamais demandé la « restitution » de son matériel photographique ou de son œuvre : il a simplement demandé l’indemnisation de la perte de plus de 750 photographies originales (« points rouges »), dont des reportages uniques en Afghanistan, perte qui interdit définitivement toute exploitation de son œuvre, et d’actes de contrefaçon résultant de l’exploitation sans son autorisation de plus de 1.000 de ses autres photographies sur Internet.
La perte de 753 photographies originales, la contrefaçon commise par Corbis Sygma sur plus de 1.000 autres images et le préjudice moral de Dominique Aubert ont d’abord été reconnus par le Conseil de prud’hommes de Paris, puis par la Cour d’appel de Paris (saisie par Corbis Sygma !), qui a confirmé le jugement en condamnant Corbis Sygma à une somme globale de 1,5 million d’euros de dommages et intérêts (plus de 10 fois la condamnation prononcée en première instance).
La Cour d’appel de Paris a rendu le droit après 8 ans de procédure, alors que Corbis Sygma déniait toute valeur au fonds photographique de Dominique Aubert aux termes d’un argumentaire dénigrant pour l’ensemble des photographes de presse.
La perte des photographies originales a donné lieu à une indemnité moyenne de 1.299 euros par photo, ainsi que de 199 euros par photo au titre du préjudice moral. La contrefaçon a donné lieu à une indemnité de 399 euros par photo numérisée et mise en ligne sans autorisation.
La décision de la Cour d’appel de Paris, au-delà de la situation particulière de Dominique Aubert, est donc importante car elle vient confirmer les droits des photographes, notamment pour ce qui concerne la numérisation et l’exploitation des images sur Internet.
Le litige avec Dominique Aubert ne constitue d’ailleurs qu’une affaire parmi d’autres, Corbis Sygma étant en contentieux avec de nombreux photographes et se trouvant en difficulté financière depuis longtemps (73 millions d’euros de pertes fiscales et 2 millions d’euros de perte d’exploitation sur la seule année 2009).
La liquidation judiciaire de Corbis Sygma – dont il faut souligner qu’elle a volontairement été demandée par Corbis Sygma, intervient donc de manière très opportune, alors qu’il s’agit d’exécuter une condamnation prononcée après 8 ans de procédure. Dominique Aubert, solidaire des photographes de presse, regrette évidemment cette liquidation mais rejette toute responsabilité à cet égard.
Corbis Sygma, qui ne recule devant rien pour échapper à ses responsabilités (Dominique Aubert ne percevra quasiment rien des condamnations prononcées), vient de surcroît d’assigner ce dernier devant le Tribunal de grande instance de Paris, le 21 mai 2010, pour demander sa condamnation à lui payer 2 millions d’euros de dommages et intérêts pour « abus de son droit d’auteur ». Monsieur Dominique Aubert ne saurait donc accepter sans réagir les procès d’intention à son encontre « .
14 commentaires
encore une fois, comment on peut être condamné pour « abus du droit d’auteur » ?
On ne serait plus propriétaire de ses propres photos dans ce cas… ? Un non sens juridique.
Toujours est-il que ce communiqué vient éclairer d’un jour nouveau, ce que j’avais appris de » l’affaire » !
Que pèse cette condamnation face aux pertes de Corbis Sigma ? Pas grand chose…
C’est visiblement le prétexte qu’ils attendaient pour se débarrasser de cette branche déficitaire.
Ce qui n’empêche pas que je crois qu’ils ont fait leur possible pour sauver l’entreprise.
Je réitère mon commentaire sur le fil précédent, bien d’actualité :
« Ah, les méchants américains. Nous y voilà… Certes, ils ne sont pas sans reproche – mais c’est oublier un investissement sans précédent dans la préservation d’un patrimoine privé – sur le territoire français, près de Paris – et dans des conditions excellentes. C’est oublier une mise en valeur du fonds de l’agence, visible sur le site Corbis.
Et si le résultat du procès Aubert est aussi un prétexte à la liquidation – Corbis ne peut pas avoir l’intention d’enterrer ce patrimoine. C’est absurde d’un point de vue économique – aucune agence ne pourrait se le permettre.
Dominique Aubert, comme tous les photographes de Sygma, Sipa et Gamma, sait parfaitement comment fonctionnait, au profit de tous, son agence. Réclamer, des années après, des dividendes de ce système par l’action juridique (avec une justice française et des avocats qui manipulent de le code de la propriété intellectuelle) témoigne simplement du mépris qu’il a pour son propre travail, Sygma et les salariés passés et présents qui ont contribué à son travail.
Reste une jurisprudence qui va peser lourdement sur les débats à venir.
Reste 29 salariés sur le carreaux, et probablement écoeurés qu’on ne parle jamais que des photographes.
Dans l’histoire de ces agences, on oublie beaucoup trop de rôles et ne reste que cette figure unique du ‘photographe’, qui à lui seul n’a pu, bien évidemment, l’écrire ! C’est donc une mémoire incertaine qu’il faut corriger dès aujourd’hui. »
Et Mr Aubert qui est solidaire des photographes de presse – une rigolade ! -. Sont-ils tous solidaires de son cas ?? Là je demande à voir… et puis vous renvoie aux lignes précédentes.
Bon de toutes façons, notre métier est un peu en train de mourir – aussi un peu – à cause de l’individualisme forcené des photographes (en général)…
J’ai croisé quelques milieux professionnels au cours de ces dernières années, mais jamais je n’ai rencontré autant d’égocentriques que dans le milieu de la photo. Le plupart des photographes deviennent photographes car ils ont « l’égo » nécessaire à cela. Bon, c’est comme ça…
Je ne parle pas pour Monsieur Aubert, (que je ne connais absolument pas et dont j’ignore tout du parcours professionnel). Mais il est un fait, qu’avec la psychologie que nous autres photographes avons ( en général ) : il est impossible de nous regrouper pour défendre ensemble nos intérêts communs…
Je m’inscris un peu en faux vis à vis de ton dernier paragraphe. Il est des fédérations de photographes qui certes ont leur défaut mais on le mérite d’exister. L’UPP (ex UPC et Freelens), le GNPP ont contribué à la défense des droits des photographes. Pour autant il est vrai qu’il est difficile de fédérer la totalité de la profession derrière ces organismes.
Pour ceux qui ne l’auraient pas lu, voici une interview de Hubert Henrotte réalisée par Michel Puech qui me semble interessante…
Bonne lecture
JD
Avec le lien c’est mieux…
http://www.mediapart.fr/club/blog/michel-puech/300510/rendez-vous-avec-hubert-henrotte-fondateur-de-sygma
> On ne serait plus propriétaire de ses propres photos dans ce cas… ?
Voilà, c’est ça. Le pauvre Dominique Aubert avait cédé, dit-on, son fonds contre de la maille à Corbis Sygma. Puis, il en aurait interdit l’exploitation au nom de son droit d’auteur. D’où l’abus éventuel (la justice tranchera). C’est dommage que le communiqué de la cht’ite victime n’en parle pas.
« …Dominique Aubert avait cédé, dit-on, son fonds contre de la maille à Corbis Sygma. »
Le code de la propriété intellectuelle ne le permet pas (droit moral inaliénable). Si une telle opération a eu lieu, ce dont je doute, les juristes qui ont établi un tel contrat sont de véritables billes…
Ce qui aurait été cédé ce sont évidement les photographies et non sont droit moral inaliénable. C’est une pratique qui existe et les billes ne sont peut-être pas là où on croit.
En complément :
Corbis-Sygma : le poids de Gates, le choc d’Aubert
Par Michel Puech – Club de Mediapart
Le récit d’un dépôt de bilan peu ordinaire mettant en
scène un « ex-photographe » français face à l’américain le plus riche du monde.
29 salariés quittent une agence de presse pour celle pour l’emploi. Des
millions de photos patientent dans un bunker près de Dreux. Un gâchis ou une
stratégie ?
http://www.mediapart.fr/club/blog/michel-puech/020610/corbis-sygma-le-poids-de-gates-le-choc-d-aubert-1
Et pour être tout à fait complet : copie de ce courrier envoyé par un ancien de Sygma (que je publie avec l’accord du courrier) :
» Att: Corbis/Sygma
Washington le 23 Mai 2010
Dans le procès qui oppose Corbis/Sygma a un photographe, je tiens a apporter mon témoignage .
Mon nom est Jean-Louis Atlan, photographe, j’ai été membre du staff de l’agence Sygma de 1976 a 1992.
Durant toutes ces années de collaboration, j’ai pu constater le sérieux et le professionnalisme de l’équipe dirigeante de Sygma. L’attention toute particulière qu’elle donnait a la classification, l’archivage et la conservation du matériel original produit sous forme de film par les photographes.
Sous la pression d’une production quotidienne énorme, (40 photographes aux quatre coins du monde envoyant une moyenne de douze films chacun) l’agence a maintenue une organisation pratiquement sans défauts. Chaque reportage, chaque film était enregistré, numéroté, classifié avant d’être développé pour être exploité. Chaque photo était regardé a la loupe, les meilleurs choisies pour exploitation, les autres mise de coté ou remises au photographe ( au choix de celui-ci) .
Ces photos devaient être présentés « physiquement » aux photo-éditeurs des magazines dans 40 pays.
Pour ce qui est des photos Noir et Blanc, ce processus était plus facile que pour la couleur. En effet, les négatifs noir et blanc pouvaient rester a l’agence et les tirages sur papier envoyés aux magazines.
Pour ce qui est de la couleur, les choses étaient plus compliqués car, pour des raisons de qualité, la production se faisait en Echtakrome, ce qui veux dire que chaque photo était un original unique.
Les photos couleurs choisies par les éditeurs de l’agence étaient marqués d’un point rouge et, pour fournir a tous les magazine cette image unique, l’agence produisait, a partir de ces l’originaux, des duplicatas (des « Dupli » dans le jargon du métier) .
Ce sont ces ‘dupli » qui circulaient dans le magazines avec les tirages noir et blanc. (Les négatifs noir et blancs et les point rouges couleurs restaient a l’agence).
le problème qui s’est posé et qui a entraîné la « perte » de certains originaux est que les magazines les plus prestigieux comme LIFE-Paris Match- Time- News Week ( pour n’en citer que quelques uns) ne pouvaient pas se contenter de la qualité approximative des duplicatas pour leur imprimerie. Ainsi, lorsqu’il choisissaient un sujet, il fallait impérativement leur confier les originaux.
Des milliers d’originaux ont ainsi transité entre l’agence et les magazines du monde entier, passant de mains en main entre les différents services , pour être, en principe, renvoyé a l’agence.
Le nombre et la taille (2,4 cm X 3,6 cm) de ces originaux fait que, si certains manquent a l’appel, ce n’est pas totalement surprenant.
Entre l’avantage financier ( associé au prestige d’être publié dans ces magazines ) et les risques de perte d’originaux que ce système pouvait entraîner, je ne connais pas un photographe qui ait interdit a l’agence de confier ses originaux aux magazines.
Il est bien sûr plus que regrettable que des photos irremplaçables se soient perdus, j’en fait moi même les frais , mais le système de l’agence SYGMA (basé sur la technologie de l’époque) n’y pouvait rien.
La négligence a l’extérieur et le nombre de manipulations a été fatale a une part de la production. Pour avoir largement bénéficié des avantages de ce système de diffusion j’en ai pour ma part accepté le triste inconvénient.
Bien cordialement,
Jean-Louis Atlan »
Une citation, de je ne sais plus qui, me vient à l’esprit après la lecture de toutes ces informations:
« Lorsqu’il y a de l’ombre, il y a forcément de la lumière »
Jean-Louis Atlan a très bien expliqué le fonctionnement des agences avant le numérique. Je rajoute une petite anecdote sur VSD qui avait subi une grève implacable de la part de toutes les agences parisiennes, il y a une quinzaine d’année, pour cause de pertes régulières de points rouges. Aucun vendeur n’est passé pendant 8 jours…
Si l’action de Dominique Aubert est correcte ou pas je vous laisse juge après ces explications.